LA CREATION D’UN TITRE EXECUTOIRE EUROPEEN : Accouchement
difficile et implications après naissance
Après le Marché Unique, la libre circulation des marchandises
et des personnes l’Europe s’est donnée pour objectif de créer un véritable «
espace judiciaire européen ».
Nul doute que lorsqu’il s’agit de justice, les Etats ont par
nature beaucoup de mal à déléguer leur compétence et qu’il leur est fort
difficile de dépasser le réflexe habituel qui consiste à voir dans la justice le
domaine réservé des souverainetés nationales.
Nul besoin non plus de s’attacher à démontrer les obstacles
latents pour parvenir à éliminer toutes les barrières en matière de justice et
d’organiser une coopération entre les juridictions.
Mais, de se féliciter du dernier instrument en cours
d’élaboration, plus performant, concernant la création d’un titre exécutoire
européen.
Réunis au sommet intergouvernemental de Tampere les 15 et 16
Octobre 1999, les Etats européens ont décidé de faire avancer l’Europe de la
Justice sans méconnaître toutes les difficultés liées à la coopération
judiciaire européenne dans cette matière.
Ils ont enfin pris conscience de la nécessité de faire
circuler la justice en approuvant le principe de la reconnaissance mutuelle des
décisions judiciaires comme « pierre angulaire de la création d’un véritable
espace judiciaire » devant aboutir à terme à la suppression de l’Exequatur,
procédure qui prend du temps, coûte cher et reste aléatoire.
En effet, il est évident qu’un véritable espace de justice
doit assurer la sécurité aux opérateurs économiques et que pour remplir
pleinement cet objectif, il est nécessaire de prendre des mesures d’application
efficaces.
En cela, ce principe devrait donc se traduire en pratique par
le respect et l’exécution dans l’ensemble de l’Union de tous les jugements et de
toutes les décisions de justice.
Ce qui est décidé par un juge dans un état membre, doit être
reconnu dans un autre état membre.
Non sans mal et sans difficultés, les Etats membres sont
parvenus, enfin, à se mettre d’accord pour pallier aux difficultés
transfrontalières en matière de recouvrement de créance.
Une telle avancée ne saurait avoir été motivée uniquement par
des raisons politiques.
D’autres facteurs sociaux -économiques, réels, indubitables
et certains ont participé à cette volonté.
Aujourd’hui avec le développement des échanges, les litiges
transfrontaliers se sont multipliés en matière commerciale.
En pratique, tout acteur économique s’agissant de
reconnaissance d’une créance a dû faire face à un problème d’exécution dans un
autre état, à des procédures complexes et lentes générant des coûts, une
lassitude et des pertes financières importantes. ET de dire que chaque année,
des milliers de décisions judiciaires sont rendues par les juges de chacun des
pays membres, que leur exécution se heurte à des procédures différentes, parfois
à l’inertie des Tribunaux qui, surchargés, préfèrent donner la priorité aux
dossiers nationaux, n’est certainement sans fondement.
La conséquence évidente étant l’impossibilité de recouvrer la
créance à l’étranger, ce qui peut avoir un effet de ruine pour les entreprises
et particulièrement pour les PME qui, pour la plupart, ne peuvent se voir
confronter à des procédures de recouvrement durant des mois voire des années.
Il devenait donc nécessaire de donner plus de visibilité à la
coopération judiciaire dans ce domaine.
L’objectif de création d’un titre exécutoire européen serait
donc un remède efficace aux difficultés économiques et le but à atteindre. Cette
nécessité de créer un Titre Exécutoire à l’échelon européen a trouvé sa raison
d’être par les difficultés transfrontalières rencontrées au stade de l’exécution
du recouvrement de créances des PME.
Un tel objectif résulte donc de la volonté d’atténuer, ou si
l’on se veut plus ambitieux d’abolir, l’écueil des frontières qui reste une
entrave à la libre circulation des jugements en Europe et qui est source de
difficultés pour les opérateurs économiques.
Dans l’absolu, on ne peut que se délecter d’un tel progrès
pour l’Europe qui veut faciliter l’accès au droit de ses ressortissants.
Et, c’est en ce sens même que cette proposition de règlement
portant création d’un Titre Exécutoire Européen vise à rendre directement et de
plein droit exécutoire une décision de justice rendue par un Tribunal ou par une
Cour des Etats membres dans un autre état membre sans que cette dernière soit
subordonnée à une procédure de contrôle dans le pays d’exécution de ladite
décision.
Concrètement le Titre Exécutoire Européen supprime la
procédure d’exequatur en son sens classique et en cela on ne peut
qu’applaudir la mise en place d’un tel instrument, qui, de surcroît, apparaît
comme plus performant.
Nul doute que l’exequatur, et malgré les simplifications
opérées par le règlement du 22 Décembre 2000, dit Bruxelles I, est une procédure
longue, aléatoire puisqu’une contestation est toujours possible et difficile
dans certains pays comme l’Espagne, qu’il n’est pas surprenant de citer.
Et a fortiori, les états perçoivent toujours d’un très
mauvais œil l’intégration dans leur ordre juridique de décisions étrangères
compte tenu de l’application du principe de souveraineté nationale.
Aucune démesure n’existe donc à dire que cette procédure est
un frein à l’exécution d’un jugement et engendre des pertes financières
inéluctables pour les créanciers en raison de la langue, de la culture juridique
et en raison principalement du coût.
Concrètement, un créancier qui a obtenu un jugement dans un
état membre peut demander au juge de cet état membre, si la créance est
incontestée, de certifier ce jugement comme titre exécutoire européen
susceptible de circuler et d’être exécuté dans toute l’Union Européenne sans
exequatur.
Désormais, cette proposition prévoit qu’un créancier qui
obtient un jugement favorable en France peut procéder à son exécution en Italie
par simple certification du Tribunal qui a rendu la décision, en l’espèce le
Tribunal Français, et sans avoir à demander l’exequatur en Italie.
Cette proposition s’intègre dans la volonté d’une plus grande
efficacité de la justice pour le recouvrement des créances transfrontalières et
ayant pour corollaire le développement de l’économie en Europe.
Cette proposition apparaît donc comme un instrument idyllique
pour les créanciers qui peuvent entrevoir ainsi une garantie pour le
recouvrement de leurs créances transfrontalières.
Certes, en supprimant la procédure d’exequatur, il est
évident que les créanciers peuvent y voir un gain de temps et un gain financier,
néanmoins, il ne va pas s’en dire qu’une telle réalité semble bien utopique.
Peut– on raisonnablement penser que l’on puisse procéder à
l’exécution forcée d’une décision de justice dans un état tiers et préserver en
cela les droits des créanciers tout en mettant de coté les droits du débiteur ?
A l’heure de la mise en place d’une charte européenne des
droits fondamentaux, qui fera probablement partie de la future constitution
européenne, de la place de plus en plus grandissante que la justice européenne
accorde au respect des droits de la défense, ne serait-on pas en train de
bafouer les règles du procès équitable et de l’application de l’article 6 de la
Convention Européenne des Droits de l’Homme ?
Les instances politiques n’auraient pu mettre en place de
telles règles et discréditer la justice européenne !
A fortiori, force est de constater que certains gardes fous
existent et peuvent venir contrecarrer les intérêts économiques, financiers et
limiter les doux rêves des créanciers.
En effet, le projet instaure des règles minimales à
l’établissement de ce titre en obligeant le jugement à respecter les droits de
la défense notamment en matière de signification ou de notification de l’acte
introductif d’instance.
Une garantie essentielle pour le créancier est que si le
défendeur choisit de ne pas comparaître, qu’il apparaît certain que l’acte
introductif d’instance lui a été signifié ou notifié en temps utile, les droits
de la défense sont considérés comme respectés.
A contrario, ce titre n’est susceptible d’aucun recours ce
qui implique qu’un défendeur peut faire l’objet d’une exécution forcée contre
ses biens ou sa propriété sans avoir eu connaissance de ladite procédure :
n’est ce pas là une garantie surprenante pour les créanciers ?
On notera également que le jugement susceptible d’être
certifié en tant que Titre exécutoire européen ne concerne qu’une créance
certaine, liquide, exigible et n’ayant fait l’objet d’aucune contestation : le
champ d’application de ce règlement se trouve donc indubitablement restreint.
Sur ce point précis se situe la limite colossale de cette
proposition.
A la lecture de ces conditions, il semblerait que le référé
provision ne soit pas concerné en ce sens que même s’il ne suppose pas
contestation sérieuse, contestation du débiteur il y a et donc, reste exclu du
champ d’application de cette proposition de règlement. Il faudrait donc que le
débiteur ne comparaisse pas ou ne conteste plus l’obligation en cours de
procédure pour qu’il entre dans le champ d’application de ce règlement.
La nécessité d’une créance incontestée pourrait donc avoir
pour effet de conduire les débiteurs à contester systématiquement la créance
pour éviter que le jugement ne soit certifié comme Titre Exécutoire Européen.
Il convient également de préciser que l’exequatur permet de
s’assurer qu’une décision qui doit être exécutée dans le pays autre que celui
d’origine n’est pas incompatible avec une décision du pays
d’exécution.
Il semble quelque peu hasardeux de penser que le pays
d’origine serait en mesure de savoir si une décision peut être intégrée dans un
ordre juridique autre que le sien et serait en mesure de régler un conflit de
décision.
Ce problème ne se posera donc pas tant au stade de la
certification mais bien au stade de l’exécution de la décision. Le débiteur aura
toujours la possibilité de former un recours contre une décision incompatible.
Ce paradoxe montre que, bien évidemment, cet aléa existe mais
qu’il ne s’agit aujourd’hui que de pure spéculation.
Nous ne sommes pas en mesure de savoir si cet aléa surgira
dans tous les cas ou seulement de manière résiduelle alors faut-il considérer
que les créanciers obtiendront plus de sécurité, moins de coût ?
Il s’agit principalement à ce stade de poser les implications
et les difficultés qui pourraient surgir pour les créanciers.
Depuis plus de 10 ans, on étudie ce projet et alors qu’en
cette matière les conflits de droits se multiplient, il est temps de mettre
enfin sur pied une procédure qui faciliterait le recouvrement des créances
transfrontalières.
On ne peut que se réjouir d’une telle gloire avec toutefois
la réserve que les diversités juridiques demeurent difficiles à occulter et,
fort heureusement, on parviendrait en ce sens à annihiler totalement le droit
international privé des Etats.
Est envisagé également un rapprochement des droits
d’exécution (une procédure de saisie européenne de créance bancaire) mais il
semble difficile et illusoire de croire à une uniformisation.
Doit- on s’en réjouir ?
Le contraire signifierait qu’au sein d’un « espace
judiciaire européen » devant être le lieu de prédilection du respect des
droits et des obligations des créanciers on octroierait aux débiteurs certains
droits qui ne feraient que les conforter, le plus souvent, dans leur mauvaise
foi…
Où se situe la justice, et a fortiori au niveau
communautaire, si ne disposant pas des moyens transfrontaliers pour faire
respecter les droits de nos clients on nous oppose par delà un droit des
débiteurs ?
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